Notre journée de découverte de la ville de Haguenau, l’ancienne « capitale » de la Décapole, s’acheva par la visite du Musée historique, un édifice étonnant construit entre 1900 et 1905, par les architectes allemands Richard Kuder (1852-1912) et Josef Müller (1863- ??). Installés à Strasbourg ils étaient associés depuis 1892 dans le cabinet Kuder & Müller. Le Tribunal d’instance de Mulhouse, construit en 1899, est aussi une réalisation de ces deux architectes allemands.
En y élevant une tour fortifiée, les architectes Kuder et Müller ont voulu rappeler que Haguenau est née d’un Burg, élevé en 1115 par Frédéric le Borgne, duc de Souabe et père de l’empereur Hohenstaufen, Frédéric Ier Barberousse. Il faut rappeler qu’en ce début de XXème siècle, Bodo Ebhardt procédait à la rénovation du Haut-Koenigsburg, exemple emblématique de cet engouement pour le Moyen-Age, qui traverse l’Alsace. Cette vogue néo-gothique était encouragée par les autorités impériales, car cet engouement pour le Moyen-Age raccrochait ainsi l’Alsace, redevenue allemande en 1871, à une période où elle était déjà dans le giron germanique, manière de tirer un trait sur les siècles de gouvernance française.
Ce Musée a été construit à l’initiative du maire Xavier Nessel, premier magistrat de Haguenau de 1871 à 1902. Archéologue et collectionneur, il avait décidé de faire don de sa collection à la ville, mais dans un bel écrin, à savoir ce Musée, qui devait aussi accueillir les archives de la ville et la bibliothèque municipale. Ce projet ambitieux s’avéra plus cher que prévu (360 000 Marks en lieu et place des 240 000 Marks initiaux) et la construction d’un cloître et d’une chapelle ne vit jamais le jour.
La statue d’angle représente l’empereur tenant à la main la Charte des Franchises, octroyée à la ville de Haguenau en 1164. Cette sculpture, en grès blanc et en ronde-bosse, est l’oeuvre de l’artiste strasbourgeois Albert Schultz (1871-1953). Par sa présence à l’angle de ce bâtiment à l’allure médiévale, Frédéric Barberousse apparaît comme le protecteur de la ville de Haguenau.
La céramique est l’oeuvre du grand artiste alsacien de cette période néo-gothique, Léo Schnug (1878-1933). Il peignit notamment les fresques du château du Haut-Koenigsburg, dont la rénovation, voulue par Guillaume II fut menée par Bodo Ebhardt (1865-1945). Sur cette céramique, Léo Schnug présente Frédéric Barberousse avec sa cour, dans le château impérial de Haguenau.
Dans le hall du Musée, un vitrail évoque le procès du roi d’Angleterre, Richard Coeur de Lion, qui s’est tenu à Haguenau en avril 1193, à son retour de la troisième croisade. Pour venger un affront subi en Palestine, le duc d’Autriche, Léopold, fit arrêter Richard Coeur de Lion, en route vers l’Angleterre. Il fut ensuite livré à l’empereur Henri VI qui le jugea à Haguenau. Malgré l’insistance du roi de France, Philippe-Auguste, qui tenait à ce que le roi d’Angleterre restât enfermée, ce qui facilitait sa conquête de la Normandie anglaise, l’empereur libéra Richard contre le versement d’une forte rançon, de 100 000 marcs d’argent. Le roi d’Angleterre quitta Haguenau en février 1194.
Ce vitrail fut réalisé par le verrier d’art strasbourgeois Auguste Schuler d’après les dessins de Léo Schnug.
On trouve évidemment le portrait de celui qui a voulu ce Musée, Xavier Nessel (1834-1918), maire de Haguenau, de 1871 à 1902. Il fut initié à l’archéologie à l’âge de 23 ans par le baron Maximilien de Ring (1799-1873), historien et archéologue germano-français, qui vint fouiller des sépultures celtiques dans la forêt de Haguenau, en octobre 1831. Xavier Nessel multiplia ensuite les recherches dans la forêt de Haguenau, un domaine qui compte parmi les plus grandes nécropoles préhistoriques d’Europe : on y dénombre 23 secteurs de 8 à 100 tertres ou tumulus,datant de l’âge du bronze (1800 à 750 av J-C) et de l’âge du fer (750-50 av J-C). Il fouilla près de 450 tumulus, effectuant des croquis de ce qu’il découvrait. Et tous les objets qu’il avait découverts ou achetés, il avait décidé d’en faire don à la ville de Haguenau pour qu’ils soient exposés dans ce Musée.
Dans ce Musée historique de Haguenau sont donc exposés de nombreux vestiges provenant des tumulus fouillés par Xavier Nessel. Un tumulus ou tertre est une butte circulaire de terre ou de sable, d’environ 15 m de diamètre, élevée au-dessus d’une sépulture. L’existence d’un tumulus témoigne du statut social du défunt et certains tumulus ont pu être réemployés à des époques différentes. Dans les rites funéraires, selon les époques, on pratiquait l’inhumation ou l’incinération. Le fait qu’on trouve dans la tombe du mobilier funéraire, des objets, des bijoux témoigne de la croyance d’une vie après la mort. Lors de ses fouilles, Xavier Nessel n’a retrouvé que les objets métalliques et les céramiques : toutes traces de cercueil en bois, de tissus, d’ossements ont disparu avec le temps, rongées par l’acidité du sol de la forêt de Haguenau.
Le Musée historique de Haguenau présente aussi une collection de faïences provenant de la manufacture Hannong, installée au XVIIIème siècle à Haguenau. Charles-François Hannong, d’origine hollandaise, s’installa à Strasbourg et commença par fabriquer des pipes, en 1710, puis en 1721, il se lança dans la production de faïences. En 1724, il fonda une manufacture de faïences à Haguenau. Les Hannong firent faillite en 1781.
Le Musée présente aussi des objets en verre, créés par les maîtres verriers René Lalique (1860-1945) ou les frères Daum, Augustin (1853-1909) et Antonin (1864-1930), les fondateurs de l’Ecole de Nancy. En 2012 notre excursion nous fit découvrir le Musée Lalique à Wingen-sur-Moder (vous pouvez consulter le compte-rendu de cette excursion 2012 en consultant la rubrique « Excursions« , en allant sur la deuxième page en cliquant sur « older posts« )
Le Musée expose aussi des oeuvres de peintres régionaux, comme Gustave Stoskopf (1864-1944), originaire de Brumath, ainsi que des céramiques de Léon Elchinger (1871-1942), né dans une famille de potiers de Soufflenheim.
Le Musée rend aussi témoignage de l’importante communauté juive qui vivait à Haguenau.
Sur la photo, on voit aussi le Yad, cette main de lecture qui guide le lecteur sans qu’il touche les textes sacrés. Le mot allemand pour désigner cet objet rituel, souvent en argent, est le Deiter.
Le Musée renferme aussi quelques objets témoins du passé de Haguenau, dont toute une série de bornes.