Après le repas, la journée se poursuivit par la visite en deux groupes de la ville de Haguenau, dont la fondation remonte au XIIème siècle.
En 1115, sur l’île de la Moder (la rivière qui traverse Haguenau), le duc de Souabe, Frédéric le Borgne, le père de l’empereur Frédéric Barberousse, édifie un château. Autour de ce Burg va naître une cité (Haguenau signifie « l’enclos de la rivière »), qui prospère sous le règne des empereurs Hohenstaufen, Frédéric I Barberousse et Frédéric II. Ils transforment le château en résidence impériale, dotée d’une chapelle palatine et viennent y résider occasionnellement jusqu’en 1250, faisant ainsi de Haguenau, une « capitale » occasionnelle du Saint-Empire-Romain-Germanique.
Dans une charte de franchises, ces empereurs accordent des privilèges importants à la ville, comme le droit de battre monnaie. A la fin du XIIIème siècle, Haguenau accueille aussi le siège du Grand Bailli , le représentant de l’Empereur en Alsace. Cette ville phare de l’Alsace médiévale devient le chef-lieu de la Décapole, cette organisation des dix villes alsaciennes, née en 1354. A la fin du Moyen-Age, l’atelier de calligraphie de Diebold Lauber est très renommé et la cité va accueillir des imprimeurs comme Henri Gran.
Mais la ville va souffrir des destructions occasionnées par le terrible XVIIème siècle: la Guerre de Trente Ans (1618-1648), les guerres de Louis XIV (durant la guerre de Hollande, en 1677, la ville est incendiée par les troupes françaises commandées par le baron de Monclar).
La mention du château impérial des Hohenstaufen, rasé par les troupes de Louis XIV : les pierres du château furent réemployées, à partir de 1688, dans la construction de la citadelle de Fort-Louis, conçue par Vauban pour protéger la nouvelle frontière Est du royaume. Les pierres taillées de l’ancien château furent transportées en radeau sur la Moder.
A l’emplacement du château impérial s’élève aujourd’hui une maison de retraite. En 1961, elle a été inauguré dans ces bâtiments qui servaient de casernement militaire. Les soldats prirent possession de ces locaux après l’expulsion des Jésuites du royaume de France par Louis XV, en 1765. Cet ordre religieux, installé à Haguenau dès 1614, avait construit, en 1738, sur l’emplacement du château impérial, un collège, haut-lieu de l’enseignement en Alsace pour les classes fortunées.
L’ancienne chancellerie de la Décapole : depuis 1904, la tour de gauche est ornée de la reproduction de l’horloge de l’Hôtel de Ville d’Ulm, mise au point par Isaac Habrecht. Cet horloger, originaire de Schaffhouse , construisit aussi à la fin du XVIème siècle l’horloge astronomique de la cathédrale de Strasbourg.
La façade du bâtiment est ornée, dans son extrémité supérieure, par les blasons des bourgeois qui ont dirigé la ville. On y trouve aussi l’aigle bicéphale du Saint-Empire-Romain-Germanique avec, à sa droite, une reproduction du château de Haguenau de Frédéric le Borgne, et à sa gauche, le blason de la ville : la rose quintefeuille (à cinq feuilles) qui figurait sur le sceau de l’ancienne ville libre d’Empire.
Au XVIIIème siècle, Haguenau retrouve la prospérité, basée entre autres sur la commercialisation d’une richesse agricole de son arrière-pays, la garance, cette plante dont la racine donne un colorant rouge. Cette plante grimpante, qui peut mesurer jusqu’à 1,50 mètres, se prête bien à la nature sablonneuse du sol de la région de Haguenau. L’exploitation de cette richesse agricole va faire la fortune de certaines familles comme les Hoffmann. Joseph Hoffmann perfectionne les techniques de séchage de la poudre extraite des racines et son fils, dit le Bailli Hoffmann, va mettre au point une machine à rober. Le robage consiste à débarrasser les racines de leur écorce, pour les réduire en poudre. Cette industrialisation de la filière du « rouge de Haguenau » permet aux Hoffmann de traiter des quantités énormes : en 1768, le Bailli transforme et commercialise les 2/3 des racines récoltées en Alsace, s’approvisionnant dans près de 120 villages. Il lui arrive de vendre annuellement de 6 000 à 10 000 quintaux de teinture, dont la moitié est exportée hors du royaume de France. Suite à des difficultés financières, dues sans doute à la construction d’un énorme hôtel particulier, le Bailli Hoffmann fit faillite en 1779. L’exploitation de la garance à Haguenau reprend de la vigueur au début du XIXème siècle, surtout avec la décision du roi Charles X d’imposer la couleur rouge au pantalon du soldat de l’armée française. Confrontée à la concurrence de la garance du pays d’Avignon puis du développement des colorants chimiques après 1850, le « rouge de Haguenau » va décliner et disparaître après 1870.
Un plant de garance présenté dans la cour du Musée du bagage.
L’énorme hôtel particulier construit par le Bailli Hoffmann,en 1770, inspiré des grands hôtels particuliers parisiens.
Cette sculpture au-dessus de la porte cochère est-elle un clin d’oeil au Bailli François-Joseph Hoffmann ?
Dans la cour intérieure, la porte d’entrée du bâtiment rappelle qu’il s’agit bien de la demeure construite par le Bailli Hoffmann.
Suite à la faillite du Bailli Hoffmann, en 1779, la décoration des linteaux des fenêtres de la partie gauche du bâtiment donnant sur la rue ne fut pas achevée.
Haguenau conserve de nombreux hôtels particuliers édifiés au XVIIIème siècle par les familles fortunées de la ville, comme celui de la famille Barth, situé à côté de la demeure du bailli Hoffmann. Georges Joseph Barth occupait les fonctions de contrôleur des Eaux et Forêts de Basse-Alsace et était aussi architecte de la ville.
La belle façade de l’hôtel Barth, édifié en 1760.
Le superbe balcon de l’hôtel particulier de la famille Barth est surmonté de la tête sculptée de Georges Joseph Barth.
Sur la façade du rez-de-chaussée, d’autres sculptures de tête évoquent les saisons : l’hiver (le vieil homme à gauche) et l’été (la femme avec les épis de blé, à droite).
Et voici l’automne (l’homme avec les grappes de vignes à droite) et le printemps ( la jeune fille avec les fleurs, à gauche).
Après l’annexion allemande de 1871, Haguenau devient une importante ville-garnison, dirigée un maire bâtisseur et féru d’archéologie, Xavier Nessel, qui occupe le poste de 1er magistrat de 1870 à 1902. Après le retour à la France, Haguenau devient un bastion de l’autonomisme alsacien, entre 1919 et 1939. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, la ville, tout comme le nord de l’Alsace, n’est libérée de l’occupation nazie qu’en mars 1945, après d’intenses combats autour de la Moder.
Cette visite guidée nous a permis de découvrir d’autres aspects due riche patrimoine architectural de la ville de Haguenau, dont voici quelques exemples.
L’ancien hôpital bourgeois du XVIIIème siècle, avec sa chapelle à rotonde, et au premier plan, la fontaine aux dauphins, édifiée sous Charles X.
Pour la ville de Haguenau, l’édification de cette fontaine, surmontée de la statue de Charles X, était une manière de rendre hommage à ce roi qui avait relancé l’exploitation de la garance en imposant le pantalon rouge aux soldats de l’armée française. Mais en juillet 1830, il fut chassé du trône par la Révolution des Trois Glorieuses, à Paris. A Haguenau, on garda la fontaine, mais on enleva la statue et on sculpta des cannelures dans le fût pour ôter l’inscription rendant hommage au roi Charles X.
En dépit des cannelures, on reconnaît encore un bout des lettres C, H, S et un morceau du chiffre X.
Devant la fontaine aux abeilles de l’abbaye de Neubourg, un monastère cistercien, situé à 6 km de Haguenau et fondé au XIIème siècle par des moines venus de Lucelle. L’abbaye fut démantelée sius la Révolution française.En 1886, le maire Xavier Nessel fit installer cette fontaine, datée du XVIIIème siècle, sur l’emplacement de l’ancien cimetière de l’église Saint-Georges.
Les angelots qui entourent une ruche évoquent la devise cistercienne « Ora et labora », la prière et le travail. Derrière la fontaine, se devine l’école des garçons construite par Xavier Nessel, en 1879-1880.
L’imposante école de garçons construite en 1879-1880, en style néo-roman, sous le mandat de Xavier Nessel. Les colonnades et chapiteaux, inspirés de la chapelle du palais impérial des Hohenstaufen, devaient rappeler aux Haguenoviens le rôle important de la ville sous le Saint-Empire-Romain-Germanique.
Le fronton néo-roman comporte le millésime 1880 (MDCCCLXXX), l’emblème de Haguenau (la rose quintefeuille) et la mention du maire Nessel (Nessel Burgermeister).
Devant l’église Saint-Georges, avec sa nef romane (fin du XIIème-début du XIIIème siècle) et et son choeur gothique (fin du XIIIème siècle). Elle se situe juste à côté de la fontaine aux abeilles.
Autre vue sur l’imposante église Saint Georges, avec son choeur gothique. L’église fut en partie détruite lors des combats de la Libération en 1945.
L’église renferme une belle tour eucharistique, la custode du Saint-Sacrement. D’une hauteur de 11 mètres, cette oeuvre en gothique flamboyant fut sculptée en 1523 par l’artiste haguenovien Frédéric Hammer. Les vitraux sont des oeuvres contemporaines du maître-verrier Jacques Le Chevallier (1896-1987), qui a aussi rénové des vitraux à Notre-Dame de Paris, à la cathédrale de Luxembourg et à la Liebfrauenkirche de Trèves.
On y trouve aussi un beau retable mêlant des oeuvres des XV et XIXème siècles. Les panneaux latéraux, représentant la Nativité (à gauche) et l’Adoration des Mages (à droite), ont été peints, en 1497, par l’artiste de Haguenau, Diebold Martin (14?? -1511). La partie centrale du retable, sculptée par Veit Wagner (1420-1517), a disparu et les sculptures que l’on admire aujourd’hui proviennent de Francfort. Si le Christ, la Vierge et Saint Jean Baptiste datent du XVème siècle, la scène du bas, le Jugement Dernier, est une réalisation du XIXème siècle.
Alors que l’archange Saint Michel, reconnaissable à ses ailes, procède au jugement des âmes, les élus sont accueillis à la porte du Paradis par Saint Pierre. Les damnés, enchaînés, sont reçus par un diable cornu qui les emmène en Enfer, dans la gueule du monstre. A l’arrière-plan, les morts ressuscitent et on remarque que chez les élus, il y a de nombreux ecclésiastiques.
La rampe d’accès de la chaire est ornée d’une sculpture de Saint Georges, le patron de l’église. Représenté en chevalier, il s’apprête à terrasser le dragon, visible sous le cheval et ainsi à sauver la bergère en prière. Cette chaire, datée de 1500, est l’oeuvre du Haguenovien Veit Wagner (1420-1517), qui a également sculpté le Mont des Oliviers de la cathédrale de Strasbourg.
Sur le contrefort du transept sud, la guide nous montre les étalons des mesures de longueur, en vigueur dans la cité de Haguenau, jusqu’à l’unification des mesures par la Révolution française.
Un autre bâtiment remarquable de Haguenau est l’Ancienne Douane, édifiée au XVIème siècle. Jusqu’à la Révolution, c’était le lieu de contrôle et de taxation de toutes les marchandises qui entraient et sortaient de la ville. Aujourd’hui, le rez-de-chaussée accueille une brasserie et l’étage du bâtiment, avec sa salle d’apparat, sert de cadre à des concerts, des repas, des réunions publiques.
L’angle du bâtiment de l’Ancienne Douane est intéressant à deux titres : il porte l’indication de la hauteur atteinte par la Moder lors de la crue de 1734 et il est orné d’un étonnant buste.
Le buste représente une jeune femme souriante tenant la mesure à vin utilisée à Haguenau, jusqu’à la Révolution, et autour du cou, elle porte l’emblème de la ville, la rose quintefeuille.
Une des façades de l’Ancienne Douane est ornée de l’emblème de Haguenau (la rose quintefeuille) et d’une photo d’arbre. Ces images d’arbres disséminées dans la ville sont un clin d’oeil à l’énorme forêt indivise de Haguenau, avec ses 13 000 hectares boisés, le 6ème plus grand massif forestier de France.
Les restes du Dischlamühle, mentionné dès le XIVème siècle. De nombreux moulins, installés sur les bras de la Moder, utilisaient la force motrice de l’eau pour produire de la farine, de l’huile.
Un petit clin d’oeil aux amoureux.
La guide nous fit passer devant la synagogue de Haguenau, la cité ayant toujours eu une communauté juive ( 6 familles au XIVème siècle, 15 en 1675, 40 en 1735, 64 en 1784 et en 1852, les Juifs représentaient 8% de la population haguenovienne). Une nouvelle synanogue, plus visible, construite en style néo-classique, fut inaugurée en 1821.
Devant la synagogue de 1821.
Une menorah, le chandelier à 7 branches, orne le mur d’enceinte de la parcelle sur laquelle s’élève la synagogue.
L’Hôtel Fleckenstein, la plus vieille maison de Haguenau, datée de 1544.
La journée s’acheva par la visite du Musée historique de Haguenau, un bâtiment initié par le maire Xavier Nessel pour y exposer les résultats de toutes les fouilles archéologiques qu’il avait entreprises dans la forêt de Haguenau.
La façade arrière du Musée est aussi orné d’une photographie d’arbre.
Nous vous proposons de découvrir ce Musée historique de Haguenau dans la 3ème partie de notre compte-rendu.