Voici le texte de l’allocution de M.Becht, prononcée le 7 mai 2011, lors de l’inauguration du monument dédié aux combats de la Hardt. Après avoir salué les nombreux participants à cette cérémonie, le Maire de Rixheim évoqua cette terrible bataille en ces termes:
» C’est avec émotion que nous nous retrouvons ici pour inaugurer ce monument érigé à la mémoire des soldats qui se sont battus dans ce secteur de la forêt de la Hardt du 28 novembre au 3 décembre 1944, au moment des combats pour la Libération de l’Alsace.
Certes, le Pont du Bouc a bien changé depuis ces évènements à la fois héroïques et tragiques. Le canal du Rhône au Rhin, 3 fois moins large en 1944, est devenu une voie d’eau à grand gabarit dans les années 1960. Sacrifiant à l’ère de l’automobile, le pont qui l’enjambe et son tracé ne sont plus les mêmes.
La route partant de Rixheim, sur laquelle ont progressé les chars et les fantassins de la 1ère Armée française, a été élargie. A quelques centaines de mètres d’ici, l’usine Peugeot recouvre maintenant sur 320 hectares une grande partie des terrains boisés qui furent le cadre de cette bataille. La cote 232, à l’entrée Nord Est de Peugeot qui, avec la Grunhutte et le Pont du Bouc, fut l’un des trois points d’appui des unités françaises dans la Hardt, n’existe plus, engloutie par l’histoire industrielle de notre région dans la seconde moitié du 20ème siècle. Comme pour compléter le tableau, une piste cyclable longeant le canal fait désormais de ce lieu un havre de quiétude et d’harmonie environnementale propice aux sorties dominicales ou aux activités sportives.
Il est en effet difficile d’imaginer qu’en cet endroit, du 28 novembre au 3 décembre 1944, résonna le fracas d’une bataille d’une violence extrême, parmi les plus sanglantes de la Libération de l’Alsace. C’est dans le cadre des opérations militaires destinées à libérer Mulhouse que le général de Lattre de Tassigny ordonne à la 4ème Division Marocaine de Montagne avec le soutien d’unités de la 1ère Division blindée de pénétrer dans la forêt de la Hardt avec pour objectif de rompre les lignes allemandes au nord de la ville.
Parce qu’elle fut un échec pour les troupes de la 1ère Armée Française, cette bataille qui fit rage pendant 6 jours, sombra de longues années dans l’oubli. Les combats les plus meurtriers se déroulèrent ici même, au Pont du Bouc. Trois compagnies d’infanterie, un peloton de chars furent totalement anéantis dans la seule journée du 3 décembre 1944. Plus de 20 000 obus s’abattirent dans ce secteur pour cette seule journée.
Je tiens à saluer chaleureusement les anciens combattants ayant participé à cette bataille et qui nous font l’honneur d’être présents à cette inauguration. Quelque soit l’arme dans laquelle vous avez servi, infanterie, blindés, artillerie ou génie, quelque soit votre parcours à l’issue de la guerre, votre vie reste à jamais marquée par ce que vous avez vécu ici. Le tribut payé par vos unités fut lourd, très lourd pour certaines. Notre pensée s’oriente aujourd’hui tout particulièrement vers les Tirailleurs Marocains du 1er RTM : 162 tués, 349 blessés et 279 disparus en 6 jours. A titre de comparaison, pendant les cinq mois de la campagne d’Italie, de mars à juillet 1944, ce régiment déplora 161 tués, 438 blessés et seulement 27 disparus.
Au-delà de ces chiffres, que de drames humains, que de familles dans la douleur, que de fils qui jamais ne sont rentrés.
Résumant le sentiment de chacun, le lieutenant Puigt, commandant la 1ère compagnie du 1er bataillon de zouaves portés, écrivait au sortir de cette terrible bataille : « Les hommes sont nerveux, silencieux, pleins de lourds souvenirs. Pour la première fois de la campagne, l’Unité n’a pas réussi à atteindre son objectif et les corps des camarades tués glorieusement ont été laissés aux mains de l’ennemi ».
Oui ce lieu méritait qu’un monument rappelle cette bataille qui, à l’aune des combats pour la Libération de la France, depuis les plages de Normandie ou de Provence jusqu’à notre terre d’Alsace, fut le prix de notre liberté comme le rappelle fort justement la dernière phrase figurant sur le monument. Belle épitaphe en hommage à ceux qui ont souffert et qui sont morts pour nous dans cette forêt.
Oui ce lieu méritait qu’un monument rappelle aux générations futures que notre liberté fut d’abord le prix du sang et que, bel exemple de fraternité humaine, sur ce sol se sont mêlés le sang français et le sang marocain. Je suis particulièrement heureux de saluer aujourd’hui des représentants du royaume du Maroc qui ont fait spécialement le voyage pour honorer avec nous la valeur des soldats marocains qui combattirent à nos côtés, au sein de la 1ère Armée française. Il est important, particulièrement en cette période actuelle où l’esprit de tolérance vacille, de rappeler aux Français, à qui ils doivent, notamment, la Liberté dont ils jouissent aujourd’hui.
Je remercie également pour leur présence active la nouba et le piquet d’honneur du 1er Régiment de Tirailleurs, détenteur des traditions des anciens régiments de tirailleurs qui combattirent au service de la France. Votre participation contribue fortement à la solennité que nous avons voulu donner à cette cérémonie commémorative.
Dès mon élection en mars 2008, j’ai souhaité, avec tout le conseil municipal de Rixheim, soutenir l’action de l’association Rhin et Sundgau qui est le porteur de ce projet.
D’abord parce que je considère comme le dit André Malraux que « la plus belle sépulture des morts, c’est la mémoire des vivants ». Mais aussi parce que je suis convaincu qu’une société ne peut avancer et se construire qu’en s’appuyant sur l’héritage de nos anciens. Et cet héritage est d’autant plus fort quand il se paye au prix du sang.
Je m’adresse ici aux jeunes présents aujourd’hui : cette région qui est la vôtre, parce que vous y vivez, n’a pas toujours connu la paix et la prospérité. Parce qu’elle fut une région de frontières, au cœur de l’Europe, le passé de l’Alsace fut bien souvent jalonné, surtout au siècle dernier, par des temps de conflits, de désolations et de destructions. Chacune de nos familles garde gravés dans sa mémoire des faits voire des drames charriés par les flots d’une histoire tumultueuse.
Rappelons que l’Alsace tout comme la Moselle ne furent pas occupées par les troupes allemandes après la défaite de juin 1940, mais annexées de fait, et ceci en violation de toutes les règles du droit international. Cette annexion au territoire allemand eut pour conséquence la nazification forcée de notre région, c’est-à-dire son intégration totale dans le pire des régimes dictatoriaux de l’Histoire.
Après avoir vécu pendant 4 ans sous un régime qui voulut imposer à tous, jusque dans la vie quotidienne, une vision idéologique et raciale de l’homme, abrogeant ainsi toute liberté personnelle, il est facile d’imaginer avec quel espoir et quelle force le mot Libération résonna dans le cœur des Alsaciens. Plus que pour toute autre région, l’arrivée des troupes alliées, a été une Libération pour nos compatriotes. Nous leur devons une reconnaissance éternelle. Les hommes qui ont souffert et qui sont morts dans cette forêt furent les acteurs de notre liberté.
Et si l’on peut dégager une leçon de cette bataille que nous commémorons aujourd’hui, je voudrais dire aux jeunes, et à vous tous qui êtes venus si nombreux aujourd’hui, que nous ne sommes pas seulement les héritiers d’une histoire mais nous pouvons aussi en être les acteurs.
C’est à nous aujourd’hui de bâtir un monde prônant le dialogue plutôt que les armes, l’unité plutôt que la domination, en nous basant sur des valeurs de respect, de tolérance et d’ouverture.
Pour nous Français, ces valeurs s’appellent Liberté, Egalité, Fraternité. Elles fondent notre démocratie et notre République.
Cet héritage doit guider notre action politique, mais aussi, dans la vie quotidienne, notre manière d’être. C’est pour ces valeurs que les soldats tombés lors de cette terrible bataille de la Hardt sont morts. C’est pour donner du sens à leur sacrifice et du sens à notre Histoire que nous devons nous souvenir et agir dans le monde qui est le nôtre en nous appuyant sur ces mêmes valeurs.
C’est le message qu’ont porté les soldats des combats de la Hardt.
C’est le message que nous délivrons ensemble aujourd’hui autour de ce monument.
C’est le message que nous devons continuer à transmettre demain.
Vive la Liberté, vive la République, vive la France et vive le Maroc. »